
Echos du Tigré : "Beaucoup sont morts de faim ici. Cela se voit dans les yeux de nos enfants."
Le témoignage de Beyne Bsrat
Lors d’une récente visite à l’école primaire de Gendet, au Tigré en Éthiopie, l’équipe de Mary’s Meals fut accueillie par deux rangées d’enfants et leurs maîtres, le long du chemin de l’école. Une douce mélopée venait des enfants, si douce qu’il leur fallut un moment pour en déchiffrer les paroles.
Ils répétaient en fait : « nous avons besoin de nourriture, nous avons besoin de nourriture, nous avons besoin de nourriture ».
Les rangées auraient dû être beaucoup plus fournies. Après deux années d’une guerre dévastatrice, le pays fait maintenant face à une sécheresse catastrophique qui aggrave encore le malheur ici. C’est particulièrement difficile d’en voir l’impact sur des communautés qui commençaient à prospérer avant le début du conflit. Les gens parlent de l’investissement dans l’enseignement, des sacrifices que les parents faisaient pour envoyer leurs enfants à l’université, et de la résilience qu’ils essayaient de mettre en place dans une région qui savait devoir se protéger d’une manière ou d’une autre des risques accrus du changement climatique.
A l’école, la communauté s’est rassemblée pour expliquer pourquoi ils voulaient que Mary’s Meals mette en place un programme d’alimentation scolaire ici, et pourquoi la moitié des écoliers qui auraient dû être là (environ 600) ne viennent plus.
Parmi les parents rassemblés, dont beaucoup avaient de jeunes enfants qui s’agrippaient à eux, il était clair que cette demande de soutien était désespérée. Beyne Bsrat, un des anciens de la communauté paraissait plus fragile que les autres, mais quand il prit la parole, sa voix était claire:
« Avant la guerre, cette communauté travaillait dur et essayait d’assurer les besoins de tous les foyers, nous étions globalement dans une bonne situation. Mais après la guerre, les troupes ont tout pillé, ils ont abattu nos animaux et les ont mangés, ils ont emporté notre matériel agricole et ont même utilisé les chaises de l’école comme bois de chauffage. Comment peut-on imaginer que des élèves apprennent dans cet environnement dévasté ? ils ont tellement de défis à relever.
Mais il n’y a pas que le défi du conflit. Nous sommes aussi touchés par la sécheresse.
Pendant la famine des années 80, j’ai amené ma famille au Soudan et nous y avons vécu 2 ans ; à cette époque, il y avait au moins la possibilité de traverser la frontière sans être refoulés, mais maintenant tout est fermé.
La seule solution que nous ayons maintenant c’est d’attendre de l’aide, ou de mourir dans notre communauté, parce que nous n’avons rien à manger ici.
Nous dépendons à 100% de la pluie. Nous avons fait nos semis, mais la pluie n’est pas venue.
La preuve se live sur nos visages et sur le visage de nos enfants. Auparavant, nous avions bonne mine, mais maintenant nos visages ont complètement changé. Nos visages sont les témoins de notre faim. Les clavicules des enfants sont très apparentes. Ils sont maintenant très maigres.
Beaucoup sont morts de faim ici. Cela se voit dans les yeux de nos enfants.
Je ne sais pas exactement combien de gens sont morts de faim, mais je peux vous dire que mon voisin et mon ami sont morts de faim. Je ne témoigne que de ce que je vois dans mon propre voisinage et dans ma communauté, mais je sais que c’est un grand nombre. Si la situation continue comme ça, le nombre de morts va sûrement augmenter.
Certains membres de notre communauté sont aidés par leur famille installée ailleurs qui leur envoie de l’argent pour les plus vulnérables. Sans cela il y aurait encore plus de morts.
Quand j’étais petit et que j’avais faim, je n’allais pas à l’école. Je me souviens de cette impression ; je pensais sans cesse à manger. Quand les enfants ont faim, ils pensent sans arrêt à la nourriture. Il est même difficile d’écouter en classe, ils ne peuvent pas penser à l’école ou à quoi que ce soit d’autre, juste à la nourriture.
Les élèves abandonnent l’école. S’il n’y a pas d’aide ou de solution pour cette communauté, il ne nous reste qu’à mourir.
Avant la guerre, mon fils demandait tout le temps à s’inscrire à l’école, même s’il était trop jeune. Aujourd’hui, il a 9 ans mais il n’est qu’en première année parce que les écoles ont été fermées pendant de nombreuses années. J’essaye souvent d’envoyer mon fils à l’école, mais ça ne l’intéresse pas, il est souvent absent. »
Quand Beyne se rassit, nous avons pu entendre encore et encore des témoignages partageant la même douleur.
Gebrehiwot Araya, président de la communauté, nous a dit qu’il y avait plus de 200 nourrissons et 140 mères allaitantes qui souffraient de malnutrition. Que des professionnels de santé étaient venus faire un bilan net qu’ils avaient constaté que plus de 30 enfants étaient « rouges ». Cela signifie qu’ils étaient gravement mal nourris et auraient dû aller chercher immédiatement un traitement au centre de santé le plus proche. Mais jusqu’à ce jour, aucune aide n’est parvenue jusqu’ici.
Un maître nous dit qu’avant la sécheresse, la terre autour de l’école était très verte, et avant la guerre, elle était pleine de bétail. Maintenant le sol ressemble à de la poussière. Ils sont tous inquiets du fait que, à cause du nombre d’enfants qui partent mendier ou chercher du travail dans d’autres secteurs, l’école devra fermer.
Pour des enfants qui se sont déjà vus privés de tant de choses, perdre toute possibilité de s’instruire serait dévastateur. Cette communauté et le reste du Tigré ne peuvent pas se reconstruire ni aller de l’avant si les enfants ont trop faim pour aller à l’école.
Beyne est très clair, la solution tient dans la promesse d’un programme d’alimentation scolaire.
« Avec Mary’s Meals, nos enfants seraient libérés et plus intéressés par l’école, et ils changeraient physiquement. La première chose qui évoluerait serait la motivation des élèves. Et ensuite cela changerait toute la société, parce que si un enfant est instruit, cela ne profite pas seulement à lui et à sa famille, mais au pays tout entier. »
L’école primaire de Gendet est sur la liste d’expansion de Mary’s Meals. Nous ne servons pas encore de repas là-bas, mais nous pourrions le faire, et rapidement, si nous levons les fonds nécessaires. Ensemble, nous pouvons répondre à ces mélopées qui demandent de la nourriture, à peine murmurées et qui brisent le cœur.
S’il vous plaît, donnez ce que vous pouvez, afin que les visages sombres des enfants puissent de nouveau sourire.